Depuis la saison passée déjà, les nocturnes Bozar All Over the P(a)lace, organisées chaque dernier jeudi du mois, ont relevé avec succès le défi de proposer des événements festifs, pluridisciplinaires et rassembleurs, à la fois éclatés dans les différents espaces de Bozar mais centrés autour d’une même dramaturgie. « L’idée est que chaque recoin du bâtiment, véritable labyrinthe, vibre ou vive de quelque chose, soit mis en mouvement », explique Paul Briottet qui est désormais artistic associate du CEO Christophe Slagmuylder, après avoir travaillé dans le milieu de l’opéra pendant plus de dix ans. « À l'inverse d'un théâtre qui réunit dans une même salle, ici le public peut déambuler partout assez librement : visiter les expositions, assister à une projection ou une lecture, prendre un verre dans le Hall Horta, … Jusqu’à ce que les propositions de performances et de DJ sets, disséminées en différents endroits du Palais, l’invitent à se rassembler. La saison dernière a été un formidable terrain d'expérimentation, chaque nocturne prenant une teinte particulière, souvent liée à une des expositions en cours. »
La réalisatrice et danseuse française d’origine capverdienne Deicy Sanches a vécu une de ces soirées All Over the P(a)lace de l’intérieur lors de l’ouverture du festival Afropolitan. Avec Les Envahisseurs, le collectif qui puise dans la danse hip-hop et qu’elle porte avec son frère Teddy, danseur et designer, elle était invitée à imaginer avec Paul Briottet une soirée pluridisciplinaire alliant dans différents espaces de Bozar : débats, projections, performances et DJ sets. « Ce que j’en retiens, c'est la présence forte du public. Les gens étaient avec nous, ils participaient. Le public n'était pas dans la posture que le cadre de l’institution peut parfois imposer : observer dans le calme et le silence. Très souvent l’institution et son architecture créent une frontière, imposent des codes aux différents corps présents. Or j'ai l'impression que nous avons réussi à casser cette barrière-là. Nous avons utilisé la performance, l’improvisation, la musique aussi, de sorte que le public se sente invité à danser avec nous. À la fin, nous étions tous et toutes ensemble, à danser collectivement ! »
Cycle de performances
Dans ce même élan, une nouvelle ligne de programmation à Bozar vient également renforcer la place de la performance dans la maison et rythmer les activités du Palais en occupant une place centrale au cœur du Hall Horta. À l’instar des soirées All Over the P(a)lace, ce cycle de performances redonne du mouvement à Bozar et complète l’offre artistique. L’abolition de la frontière entre « performeurs » et « spectateurs », cette manière de faire s’écrouler le « quatrième mur » typique de la représentation théâtrale, caractérise, selon Paul Briottet, l’art de la performance. La performance se situe à la croisée de la danse, du théâtre et des arts plastiques.
« Avec la performance, explique-t-il, on n’est pas dans une proposition artistique qui se façonne dans le cadre strict du plateau, cerné par le cadre de scène, par des moyens techniques importants, par une certaine machinerie qui crée une forme de distance entre le spectateur et ce qui se passe sur scène. Dans la performance, c’est un rapport plus intime qui se joue, presque charnel, où la proximité entre public et artistes est privilégiée. » Autre aspect caractéristique de la performance : le fait qu’il s’agit souvent d’une création in-situ, spécifique pour un espace et un rapport au public particulier. « Ce qui en fait un objet assez exceptionnel dans le présent », poursuit Briottet. Là aussi, à l'inverse de l’expérience au théâtre, la performance a un caractère unique, presque exclusif, sans être excluant, qui se vit dans l’instant et ne se reproduit jamais de la même façon.
Investir le Hall Horta avec de la performance constitue aussi une manière de renouer avec l’histoire d’un bâtiment conçu avec l’ambition de réunir de nombreuses formes d’art, dont le spectacle vivant. « En creusant l’histoire du lieu, j’ai constaté que la performance était présente dès les premières années, souligne Briottet : en 1929, Serge de Diaghilev a inauguré le Hall Horta avec ses Ballets Russes. À l’occasion de cette nouvelle saison, la programmation renoue avec cette intention historique du Palais et invite des artistes d’aujourd’hui à reprendre des créations ou à en imaginer de nouvelles pour le si caractéristique Hall Horta. Une manière de rassembler autrement les publics et les artistes, et d’inviter à voir le monde différemment. »
Ce sera donc le cas tout au long de la saison 24-25, pour laquelle on peut déjà citer des noms comme ceux d’Eszter Salamon, Boris Charmatz et Maria Hassabi.
Estelle Spoto