Découvrez leurs films à Bozar en novembre
Notre début de saison est dédié à l’amour et aux couples artistiques. Une oeuvre de l’exposition Love is Louder parle “d’endurance” (I Love You de Melati Suryodarmo). Vous travaillez ensemble depuis 1996, nous pouvons donc parler d’endurance... Comment faites-vous ?
C'est probablement les contrastes et les différences qui ont rendu notre collaboration artistique possible pendant tant d'années. Nous nous complétons dans notre travail et sommes prêts à dépasser nos limites pour atteindre un objectif commun. Comme il n'y a pas de routine dans notre travail, le processus de réalisation de films reste toujours très excitant et stimulant pour nous.
« J’ai grandi obsédée par la beauté », dit Vera dans votre film éponyme. En tant qu’amoureux de l’image, qu’évoque pour vous la beauté ?
Ce qui est perçu comme "beau" est dans l'œil de celui qui regarde, et Vera en est un bon exemple. Au début du film, les spectateurs sont souvent déroutés par son apparence et son comportement, mais à la fin, ils peuvent percevoir qui elle est vraiment. Beaucoup trouvent soudainement Vera belle. Les gens ont tendance à juger des choses et des personnes qu'ils ne connaissent pas et tombent très souvent victimes de préjugés ancrés, et nous n'y échappons pas non plus. C'est pourquoi, dans notre travail cinématographique et photographique, nous avons une préférence pour les marginaux, des personnes qui ont été reléguées aux périphéries de la société alors qu'elles ont toute leur place dans cette société. L'amour et le respect que nous ressentons pour elles constituent un aspect important de notre travail.
Pour nous, il est plus important de créer une ambiance familiale sur le plateau que de faire une impression avec de grandes lumières et une énorme équipe.
La Pivellina, votre premier long métrage, a aussitôt été remarqué par la critique pour son authenticité et vos autres films dégagent aussi cette force. Cela vous importe, de faire un “cinéma authentique” ?
Nous aimons tous les types de cinéma, mais l'authenticité est importante pour nous dans notre travail personnel en tant que cinéastes. Nous avons commencé comme documentaristes et sommes restés fidèles à l'approche selon laquelle nous trouvons notre plus grande inspiration dans la réalité. Dans notre travail, nous sommes toujours en quête d'une vérité que nous ne trouverons jamais vraiment, mais à laquelle nous nous efforçons de nous rapprocher.
Vous vous impliquez énormément sur les tournages et auprès de vos acteurs, souvent non-professionnels. Il y’a une proximité physique sur le tournage, une certaine économie de moyen…. Comment cette manière de travailler participe au résultat final du film ?
Nous ne sommes généralement que deux sur le plateau : Tizza s'occupe du son, Rainer de la caméra et nous réalisons ensemble le film. Notre équipement technique se limite au strict minimum, ce qui a naturellement un impact visible sur le résultat. Pour nous, il est plus important de créer une ambiance familiale sur le plateau que de faire une impression avec de grandes lumières et une énorme équipe.
Vous naviguez entre le documentaire et la fiction. Comment “brouillez-vous les pistes” ? En d’autres mots, qu’est-ce qui vous attire dans le quotidien qui mérite d’être mêlé à la dramaturgie ?
Nos protagonistes nous fournissent de nombreuses informations personnelles sur leur vie pour notre travail cinématographique. Nous avons la permission d'utiliser leurs vrais noms, nous filmons dans leurs maisons et nous sommes autorisés à inclure tout leur environnement. Cela brouille naturellement les frontières entre la réalité et la fiction.
Nous avons une préférence pour les marginaux, […]. L'amour et le respect que nous ressentons pour ces personnes constituent un aspect important de notre travail.
« Entre fiction et documentaire » : ce qui fait votre spécificité n’est pas tant ce genre en soi mais plutôt le caractère spécifique qui se dégage des personnages que vous mettez en lumière, comme Vera que vous sortez de l’ombre de son père. Comment faites-vous vos choix ? Cette question m’intéresse d’autant plus qu’ils se font à deux….
Les personnes qui nous fascinent et avec qui nous aimons passer du temps peuvent, tôt ou tard, devenir nos protagonistes. Le bon moment arrive généralement lorsque nous pensons à une histoire possible pour elles. Mais cela commence toujours par une longue période de découverte mutuelle. Souvent, de nombreuses années passent avant que nous ayons trouvé la confiance nécessaire pour réaliser ce type de film. Une fois que nous avons trouvé la bonne histoire, la décision commune est facile.
Marc Michel est le seul acteur professionnel du film Le trou dont le scénario s’inspire des témoignages de prisonniers. Ce n’est pas un hasard, j’imagine, d’avoir choisi ce film pour votre carte blanche à Bozar. C’est donc bien en écoutant les histoires que vos envies de faire du cinéma naissent ?
Oui, c'est vrai, il n'y a rien de plus excitant pour nous que les histoires vraies et les personnes qui sont également "réelles" dans le film, car elles jouent leur propre rôle et peuvent ainsi donner à l'histoire une grande crédibilité. Les histoires vraies apportent aussi une dramaturgie imprévisible. Un autre aspect qui nous a particulièrement impressionnés dans Le trou est que Jean Keraudy a réellement effectué cette évasion il y a de nombreuses années. Sa façon de se mouvoir, sa façon de parler aux prisonniers et aux gardiens, la manière dont il fabrique les objets qu'il utilise pour s'évader, , tout cela est documentaire et d'une intensité et d'une fascination inégalées.