Chiaroscuro Quartet & Cedric Tiberghien

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Quatuor à cordes n° 7 en fa majeur, op. 59/1, "Razumovsky"

• Allegro
• Allegretto vivace e sempre scherzando
• Adagio molto e mesto - attacca
• "Thème Russe": Allegro

pause

Johannes Brahms (1833-1897)
Quintette avec piano en fa mineur, op. 34

• Allegro non troppo
• Andante, un poco adagio
• Scherzo: Allegro 
• Finale: Poco sostenuto – Allegro non troppo – Presto, non troppo

Durée: +/- 2h

Beethoven, Quatuor à cordes en fa majeur, op. 59 n° 1.  

On doit à Goethe l'une des déclarations les plus célèbres sur le genre du quatuor à cordes. Dans une lettre de 1829, il compara l'interprétation d'un quatuor à cordes de Beethoven à une conversation entre quatre personnes intelligentes. Cependant, cette comparaison n'était pas nouvelle. Dès 1764, les Quatuors à cordes, op. 1 de Joseph Haydn avaient déjà été publiés à Paris sous le titre « Six simphonies ou quatuors dialogués ». D'une certaine manière, l’analyse de Goethe des quatuors beethovéniens était presque à la traîne. En effet, dans ses quatuors à cordes de la période dite médiane, incluant les quatuors Razoumovski, Beethoven transforma profondément la dynamique entre les instrumentistes. 

Bien que les Trois Quatuors, op. 59 soient dédiés au comte russe Razoumovski, la commande à proprement parler vient très probablement d’Ignaz Schuppanzig. Ce violoniste vedette employé en permanence par Razoumovski s'entoura d'autres musiciens professionnels pour former le premier quatuor à cordes entièrement professionnel de l'histoire. C'est également sous son impulsion qu’évolua l’approche de jeu du quatuor à cordes. Jusqu'alors, l’élément essentiel était le dialogue entre les quatre musiciens, souvent assis en cercle autour du pupitre, le dos tourné aux auditeurs. En général, ce dialogue à quatre voix était dominé par le premier violon, qui se voyait attribuer le rôle de loin le plus important. 

Avec ces quatuors à cordes, Beethoven et Schuppanzig remirent en question un certain nombre de conventions. Nous savons que les musiciens du quatuor Schuppanzig brisèrent le cercle fermé et s'orientèrent davantage vers le public. Ce changement purement spatial se refléta également dans la musique, qui devint beaucoup plus axée sur la projection du son vers le public. Le fait que le quatuor fût écrit pour un ensemble professionnel constitua également une rupture avec la tradition, où les quatuors à cordes étaient souvent destinés au plaisir et au divertissement des nobles musiciens. En fait, l'une des conditions pour engager Schuppanzig était que le comte lui-même soit autorisé à jouer occasionnellement du second violon dans le quatuor. Reste à savoir s'il le fit dans cette partition complexe. Même Schuppanzig se heurta parfois à ses limites, et lorsqu'il se plaignit à Beethoven de passages injouables, Beethoven lui répondit comme lui seul en était capable : « Croyez-vous vraiment que je pense à votre misérable violon lorsque je suis affecté par un certain sentiment ? » 

Le premier des trois quatuors de Razoumovski débute de façon singulière et inattendue pour le premier violon, qui doit attendre pas moins de huit mesures avant de prendre la parole. Et à ce moment-là, il n’apporte qu’un simple écho à la mélodie suggérée par le violoncelle. La hiérarchie classique est donc bouleversée dès la première note, laissant la place à une forme sonate élargie faisant la part belle à une grande égalité entre les quatre interlocuteurs. 

Dans le deuxième mouvement, c’est l'enjouement qui prédomine. On reconnaît le style des scherzos des dernières symphonies de Beethoven, y compris la perturbation délibérée du temps trois-quarts par des accents percutants inattendus. 

L'Adagio molto e mesto offre un point de repos bienvenu. Beethoven s’y révèle en maître du contrepoint, les quatre voix jouissant d'une grande indépendance mais formant ensemble un tissu sonore sophistiqué et fascinant. Dans des constellations variées, il opte souvent pour des duos au sein du quatuor. Cela lui permet d'élargir le spectre sonore, démarche nécessaire dans le nouveau contexte d'une musique orientée vers le public. 

Dans le quatrième et dernier mouvement de l'opus 59 n° 1, Beethoven remercie musicalement le comte dédicataire de la partition. Au-delà d’être une belle marque de reconnaissance envers Razoumovski, le choix d'une mélodie folklorique russe entraînante offre également un matériau idéal pour un final vibrant et énergique.  

Brahms, Pianokwintet in f op. 34 

Brahms, Quintette avec piano en fa mineur, op. 34 

Le quintette avec piano de Johannes Brahms est parfois considéré comme le couronnement de sa musique de chambre. Cette composition vit le jour en 1862 sous la forme d'un quintette à cordes avec deux violoncelles. Après en avoir réalisé une transcription pour deux pianos, il trouva finalement l'équilibre parfait dans l’alliance du quatuor à cordes et du piano. C'est Joseph Joachim, le célèbre violoniste de l'époque et grand ami de Brahms, qui fut le premier à interpréter le quintette à cordes, mais il resta sur sa faim. Le 15 avril 1863, après avoir bien répété l'œuvre, il écrivit à Brahms qu'il ne voulait pas montrer la partition à d'autres avant de pouvoir la jouer pour Brahms. Joachim estimait que l'œuvre avait du potentiel, mais qu'il lui manquait un certain charme. Le compositeur et le violoniste échangèrent des idées, mais même après que Brahms eut apporté quelques ajustements, ils n'étaient toujours pas satisfaits du résultat. Le principal problème était que Brahms n'avait pas envisagé la musique du point de vue du potentiel des cordes, de sorte que les difficultés techniques faisaient obstacle à l'expression musicale directe. 

Face à ces problèmes fondamentaux évidents, Brahms décida finalement de changer de tactique et de transformer l'œuvre en une sonate pour deux pianos. Il interpréta lui-même cette version avec le pianiste Carl Tausig, mais l'œuvre n'était toujours pas tout à fait à sa place. Cette fois, c'est Clara Schumann, qui connaissait à la fois la version originale pour quintette et le nouvel arrangement pour piano, qui fut la plus clairvoyante. Elle écrivit le 22 juillet 1864 que l'œuvre contenait tant de bonnes idées qu'il faudrait presque un orchestre pour lui rendre justice. 

Brahms n'en fit jamais une œuvre orchestrale, mais suivit la proposition du chef d'orchestre Hermann Levi d'en faire un quintette pour piano. Après avoir pris connaissance de la partition, Levi envoya à Brahms une lettre contenant des commentaires élogieux. Il qualifia l'œuvre de « chef-d'œuvre de la musique de chambre ». 

Klaas Coulembier