Sa réflexion sur les problèmes liés à la peinture et la représentation documente son œuvre pendant toute la seconde moitié du XXe siècle. Elle l’amène à cesser de penser la peinture comme un médium neutre et illusionniste, à la matérialiser au contraire sur une surface opaque, rien moins qu’un mur où matériau, forme, langage et idée semblent indistinguables, sans que leurs différences soient pour autant abolies. À cheval sur l’objectal, le pictural et l’écrit, sa peinture est narrative, tactile et d’une certaine manière sculpturale.
Si l’histoire de l’art a associé l’œuvre de Tàpies à l’abstraction et l’art informel d’après-guerre en se focalisant sur ses traits expressionnistes, la manière tout à fait unique dont l’artiste utilise la matière pour créer des formes d’objets ne peut être classée dans les courants qui ont typiquement normalisé l’utilisation du coup de pinceau spontané, gestuel. L’introspection, la rigueur structurelle, l’écriture et la vulnérabilité de l’éphémère sont une partie intégrante de l’exploration consciencieuse des propriétés du matériau, conduisant à l’utilisation d’une palette sobre, proche des gradations de la terre, du miel, de la chaux, du bois.
Les débuts de Tàpies sont marqués par l’héritage des avant-gardes historiques et par ses liens avec le groupe Dau al Set [Dé à sept faces] jusque dans les années 1950, quand l’artiste commence une expérimentation de longue haleine sur la matière qui allait propulser sa carrière dans l’arène internationale. Dans les années 1960, Tàpies se lance dans une série d’essais tournant autour de l’objet, cependant que son engagement politique antifranquiste devient plus explicite dans ses œuvres. L’avènement de la démocratie en Espagne et la nouvelle réalité culturelle qui s’ensuit coïncident avec de nouvelles investigations de la matière, l’incorporation de vernis et l’influence de la spiritualité orientale. Pendant les deux dernières décennies, un sentiment de nostalgie envahit l’œuvre de Tàpies. Conscient de l’avancée de l’âge, les thèmes de la mort et de la maladie deviennent dominants.
Le titre de l’exposition est tiré de la première compilation d’écrits de Tàpies, publiée en 1970. Organisée à l’occasion du centenaire de la naissance de l’artiste, l’exposition instaure un dialogue entre des œuvres qui ont longtemps été dispersées, remettant en perspective l’œuvre de Tàpies et son influence sur l’histoire de l’art récente.
Manuel Borja Villel, Commissaire