À propos de pandémie : en 2021, Monira Al Qadiri aurait dû donner une conférence-performance à Bozar, mais celle-ci a finalement eu lieu en ligne. Le sujet de cette conférence avait justement un lien avec le coronavirus. « Quand les musées ont été autorisés à rouvrir partiellement après le premier confinement, je suis allée au musée égyptien de Berlin. Il fallait que je sorte de chez moi ! Là, j'ai été attirée par deux mains, tout ce qui restait d'une statue de Néfertiti et d'Akhenaton vieille de trois mille ans », se souvient l’artiste.
Fascinée par ce lien apparemment éternel, Al Qadiri commence alors à se renseigner sur « tout ce qui touche au couple royal et à l'Égypte ancienne ». C'est à ce moment-là que Bozar l’invite à donner une conférence « sur n’importe quel sujet », explique l'artiste, « il fallait que ce soit là-dessus, c’était une évidence ». Mais même la poignée de main millénaire d'un couple royal égyptien n'a pas résisté au confinement suivant, et Al Qadiri n'a jamais pu se rendre à Bozar.
« Avoir l’opportunité de reprendre le fil de l'histoire aujourd'hui me rend extrêmement heureuse », déclare l'artiste. « D'autant que je peux désormais y inclure ma fascination pour les univers parallèles. Pendant la pandémie, je me suis souvent sentie tellement perdue que j'ai commencé à penser à des lignes temporelles et à des univers parallèles. »
Très concrètement, l'artiste koweïtienne propose à Bozar une exposition ambitieuse composée de quatre installations explorant la relation entre l'homme et l'animal... à travers le prisme de l'Égypte ancienne. « Je l'ai appelée The Archeology of Beasts », s'enthousiasme Al Qadiri. « Quand est-on un humain ? Quand est-on une bête ? Et la vie d'une personne peut-elle valoir plus que celle d'une autre ? Ces questions sont particulièrement pertinentes aujourd'hui, à l'heure où nous prenons conscience de la nécessité de repenser notre rapport à la nature et d'abandonner l'idée que nous pouvons la contrôler. »
Un message environnemental
C'est loin d'être la première fois que Monira Al Qadiri aborde les questions écologiques, « sans doute parce que je viens d'un pays qui produit du pétrole, ce qui fait que je me sens responsable de la fin du monde ». Elle rit, mais elle est aussi sincère. « L'écologie est un vaste domaine, et je me suis récemment beaucoup intéressée à la relation entre l'homme et l'animal. Parce qu'elle est très différente aujourd'hui de ce qu'elle était autrefois. Nous vivons tellement cloisonnés que nous sommes déconcertés lorsque des animaux "sauvages" apparaissent soudainement dans nos rues et nos rivières en pleine pandémie. Comme si nous avions complètement oublié qu'ils vivaient dans le même monde. La différence avec l'Égypte ancienne ne pourrait être plus grande, car à cette époque, les animaux y étaient encore représentés comme des dieux. »
L'artiste donne l'exemple de Thot, un dieu égyptien à tête d'oiseau qui décide si quelqu'un est digne d’accéder au paradis. « Sur une balance, il compare le poids de votre cœur à celui d’une plume, et si le cœur pèse plus lourd que la plume, il est jeté aux crocodiles et vous n'avez pas le droit d'aller au paradis. » Al Qadiri se redresse : « Aujourd'hui, nous avons déjà du mal à admirer les lions ou les tigres, tandis que chez les Égyptiens, notre destin se trouvait entre les mains d'un oiseau ! »
Pour réaliser cette exposition, l'artiste s'est bien sûr rendue plusieurs fois en Égypte. D'une part, pour faire des recherches (« mon amour pour l'art s'est encore accru là-bas, car après cinq mille ans, c'est tout ce qui reste de cette ancienne civilisation »), d'autre part, pour réaliser des scans en 3D.
« C’est l'exposition la plus technologique que j'aie jamais créée », déclare Al Qadiri. « L'une des quatre installations est même une expérience de réalité virtuelle avec laquelle je veux créer un monde parallèle, basé sur l'image assez "agriculturelle" que les anciens Égyptiens avaient de la vie après la mort. Je dois cependant admettre que parfois, il n'est pas nécessaire de porter un casque de réalité virtuelle pour avoir l'impression d'être dans un univers parallèle. Chaque fois que je suis entrée dans une tombe vieille de cinq mille ans en Égypte et que j'y ai vu des choses qui n'auraient jamais dû être vues par des humains, j'avais déjà l'impression d'être dans une sorte de réalité alternative. »
L'exposition The Archeology of Beasts se tiendra du 14 novembre 2024 au 9 mars 2025. Une rencontre avec Monira Al Qadiri aura lieu le 13 novembre 2024 dans la Salle Terarken.