Publié le - Maarten Sterckx

« Tout m’inspire, je ne manque jamais d’idées. »

La polyvalence de Caroline Shaw est mise à l'honneur à Bozar avec une anthologie de son répertoire, des quatuors à cordes à la musique vocale en passant par des chansons avec Gabriel Kahane. Rencontre avec une Américaine touche-à-tout !

Bon courage à qui tentera d’enfermer Caroline Shaw dans une catégorie. La compositrice américaine mêle pop, jazz et classique dans un langage musical unique. Sa polyvalence est d’ailleurs largement appréciée, comme en témoignent ses collaborations avec des stars classiques comme Anne Sofie von Otter et des artistes pop comme Rosalía. 

Vous êtes active en tant que compositrice, violoniste et chanteuse. Ces univers semblent se confondre en permanence.  
Caroline Shaw : « J'ai commencé le violon très jeune et, à l'âge de six ans, je composais déjà des chansons dans ma tête. À onze ans, j'ai reçu un cahier de musique dans lequel j'ai commencé à écrire toutes mes idées minutieusement. Pourtant, je l'ai longtemps caché, même à mes amis avec qui je jouais de la musique. Je ne connaissais pas de compositrice et je pensais qu'il était impossible de combiner l’interprétation et la composition. Aujourd'hui, bien sûr, je sais que j’avais tort et c'est probablement la raison pour laquelle toutes ces pratiques musicales sont fortement imbriquées en moi : je ne les vois jamais séparément. » 

Vous chantez à Bozar dans pas moins de trois projets. Cela représente un certain investissement, n'est-ce pas ? 
Shaw : « J'aime être sur scène avec ma propre musique. C’est un contexte dans lequel je peux interagir directement avec les musiciens et apprendre de leurs idées. On peut donc dire que je suis très impliquée, car je suis tout sauf une spectatrice. En outre, je trouve cela vraiment excitant d'introduire des genres plus populaires dans le monde classique. » 

La manière de composer diffère-t-elle pour vous ? Je peux imaginer que l’approche n’est pas du tout la même selon qu’il s’agit d'une œuvre chorale, d’un quatuor à cordes, d’une collaboration avec un quatuor de percussions comme Sō Percussion ou avec le singer-songwriter Gabriel Kahane. 
Shaw : « C'est vrai. La plupart du temps, je suis seule à mon bureau lorsque j'écris des œuvres pour des ensembles, mais une collaboration avec Sō Percussion exige beaucoup de dialogue avec les musiciens. Sur notre nouvel album Rectangles and Circumstance, il n’y a pas une seule pièce que j'aie composée entièrement seule. Nous avons tout écrit ensemble. Je reste la tête pensante principale, c’est sûr, mais les mélodies, les rythmes et les harmonies proviennent de tous les musiciens qui ont collaboré à l'album. » 

Une collaboration avec le phénomène espagnol de la pop Rosalía se déroule-t-elle de la même manière ? 
Shaw : « Rosalía possède une personnalité fantastique. Elle ne se considère pas comme une compositrice, mais pour moi, elle en est une. De haut niveau, d’ailleurs. Lorsque nous travaillons ensemble, c’est elle qui décide des mélodies et des structures, et je me charge ensuite d’y intégrer les extraits choraux. C'est une collaboration équilibrée, d’égale à égale. »

« J'aime être sur scène avec ma propre musique. C’est un contexte dans lequel je peux interagir directement avec les musiciens et apprendre de leurs idées. » 
- Caroline Shaw

Où puisez-vous le plus d'inspiration pour composer ? 
Shaw : « Je dois dire que tout m’inspire, donc je ne manque jamais d’idées. (rires) Pour mon quatuor à cordes The Evergreen, par exemple, je me suis inspirée d’un arbre dans une forêt canadienne. En regardant l'arbre, différentes idées mélodiques et sons me sont venus à l'esprit. La musique classique est également une grande source d'inspiration. J'ai une playlist particulièrement longue, composée essentiellement de musique ancienne. En ce moment, je suis à nouveau obsédée par Le Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach. Le moindre changement harmonique dans l'une des miniatures peut déjà former l'élément de base d'une nouvelle composition.

Avez-vous un morceau de musique classique préféré ? 
Shaw : « Pour être honnête, cela change constamment. L'année dernière, c’était sans doute An die Musik de Schubert. Le dernier morceau de Rectangles and Circumstance est d’ailleurs un arrangement de cette pièce. Les progressions d'accords de Schubert sont si particulières, si magiques, on dirait qu’elles contiennent un monde d'émotions. Longtemps, je n’ai juré que par La Flûte enchantée de Mozart, mais aujourd'hui, je n’arrive même plus à l'écouter. (rires) Elle a trop tourné en boucle. » 

Vous écrivez beaucoup pour la voix et les cordes. Est-ce que ce sont les instruments qui vous tiennent le plus à cœur ? 

Shaw : « Je me sens très proche des instruments à cordes et j'aime donc beaucoup écrire pour quatuor. C’est une formation pour laquelle il existe un répertoire incroyable. Cela m’enrichit beaucoup lorsque j’écris pour un ensemble capable d’une grande écoute mutuelle. L’écriture orchestrale offre bien sûr plus de possibilités en termes de combinaisons d'instruments et de timbres, mais je trouve parfois que le processus de construction, où chaque élément doit être parfaitement adapté à la structure, y est moins sincère. Selon moi, l'instrument le plus personnel est peut-être la voix, parce qu'elle me permet de m'exprimer à l'infini. 

Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ? 

Shaw : « Je suis impliquée dans beaucoup trop de projets ! Parfois, j'ai déjà hâte d'être à la retraite. L'un de mes plus grands défis pour les années à venir est l’écriture d’un opéra pour le Deutsche Oper à Berlin, alors que j'avais pourtant dit que je ne ferais plus d'opéra. J'ai également plusieurs commandes de composition et je continue à travailler sur notre groupe pop Ringdown avec ma partenaire Danni Lee. Mon plus grand rêve serait de réaliser un autre projet avec Rosalía. Et si, pour une fois, on met la musique de côté, j'aimerais consacrer plus de temps aux fleurs de mon jardin. » 

C’est la première fois que vous vous produirez à Bruxelles. Connaissez-vous un peu la ville ? 
Shaw : « Lorsque j'avais 22 ans, j'ai passé quelques mois à Bruxelles et je suis tombée amoureuse de la ville. Je suis venue plusieurs fois à Bozar à l'époque, bien sûr, c'est vraiment un endroit spécial. J'ai hâte que ma musique résonne dans ce bâtiment emblématique. » 

 

Caroline Shaw se produira à Bozar avec le Kamus Quartet (30 septembre), Roomful of Teeth (21 novembre), Sō Percussion (26 novembre), Gabriel Kahane (12 mars) et Il Gardellino & le Vlaams Radiokoor (29 mai).